dimanche 27 novembre 2011

Acte 4 : SACRIFICES


L’Auteur (au Numérotateur qui ne sait plus à quel saint se vouer.)
Continuez.

Le Numérotateur  (balbutiant et bégayant de plus en plus, perdu)
Récit numéro 63

Les Acteurs préparent la scène. Bruit de roulement, comme un roulement de tambour. Ils jouent avant que le Récitant ne fasse son récit.

Le Récitant
Les archers le transpercent de flèches, mais ne visent pas le cœur. Il guérit, va parler à l'empereur. Il est roué de coups jusqu'à la mort.

Le Lecteur Critique (ricanant)
Saint Sébastien, maintenant. Le paradigme du sacrifice. C’est bien le moment !

Le Numérotateur  (voix tremblante, très troublé)
Récit numéro 64

Les Acteurs préparent la scène. Le rythme est rapide, depuis l’arrivée de l’Auteur tout semble aller tambour battant. Les tableaux s’enchainent et les récits.

Le Récitant
Nous l'avons décidé et ils ont débranché les machines, éteint les écrans. Tout est allé très vite, ses lèvres ont pris cette teinte bleutée.

Le Numérotateur
Récit numéro 65

Le Récitant
Devant la maison, il a fallu abattre le platane. L'apparition, sur ses feuilles, des stigmates du chancre coloré ont contraint au sacrifice.

L’Auteur (sur un ton guerrier)
L'auteur se ressaisit, nage hardiment en s'accrochant aux branches, tente de faire feu de tout bois, et vise droit au cœur de la contrainte.

La contrainte a commencé son combat. Elle ne renonce pas, s’acharne, argue qu’une fois pour toutes elle a été décidée, et exige le respect.

Le Numérotateur
Récit numéro 66

Le Citateur
"Elle m'a souri et puis on a dû se quitter. Elle était toute crounie, tenait plus, elle arquait plus, et je l'ai plus jamais revue, mémère."

(Entre l’Ecrivain vivant. Il a couru, il arrive essoufflé et ravi.)
Les Acteurs rejouent la scène pour lui, car ils l’ont reconnu.

L’Auteur (en apparence hors de propos et in petto)
L'Auteur ne sait pas si se nommer elle ou il, quand elle parle d'elle, comme de l'Auteur. Ne consent pas à dire l'Auteure ou pire l'Autrice.

(Puis dominant son émotion)

L'Auteur dira l'Auteur.

L’Ecrivain vivant
C’est très joli, ça me rappelle quelque chose. Mais c’était, je crois, " elle tenait plus "… à cause du rythme. Je me présente :  Zachery Mnirow, auteur de la phrase citée ci-dessus. (et entre minauderie et autodérision, il ajoute ) vous avez un goût très sûr en matière de lecture.
Oui, le rythme, écoutez :
Elle m'a souri et puis on a dû se quitter. Elle était toute crounie, elle tenait plus, elle arquait plus, et je l'ai plus jamais revue, mémère.

L’Auteur (plein de bonne volonté, mais intraitable sur la contrainte " 140 " fait signe au Citateur de reprendre la citation, le Numérotateur tourne en rond)

Le Récitant
"Elle m'a souri et puis on a dû se quitter. Elle était crounie. Elle tenait plus, elle arquait plus, et je l'ai plus jamais revue, mémère."

L’Auteur  (désolée)
Toute a été sacrifié. Pas bien non plus ?

L’Ecrivain vivant (assez mécontent, mais feignant d’acquiescer, de compatir, de se soumettre, de comprendre)
Ah, oui ! contrainte et sacrifice.

L’Auteur (soudain, un peu angoissée, en a parte)
Inexorable, elle oblige l’auteur à amputer une citation d'un mot ou d'une lettre, tuant ainsi le rythme. Les Ecrivains vivants se plaignent.

L’Auteur (toujours pleine de bonne volonté mais intraitable sur la contrainte, fait une autre proposition à l’Ecrivain vivant, on la voit prise entre son admiration pour Mnirow et la nécessité absolue de respecter la satanée contrainte)
Et ça ?
"Elle m'a souri - on doit se quitter. Elle était toute crounie. Elle tenait plus, elle arquait plus, et je l'ai plus jamais revue, mémère."

L’Ecrivain vivant (n’y tenant plus et cessant de feindre)
Vous allez me dire que je chipote, mais quand même, il s’agit de citations, non ? Alors autant citer texto. Moi, c’est ce que je m’efforce de faire. Sauf quand je traduis un texte.

L’Auteur (montrant son crâne d’un doigt et tapote son front, puis brandit son index)
L'auteur se souvient de la nouvelle de Borges narrant un Quichotte écrit à l'identique par Pierre Ménard : œuvre citation intégrale, donc.

L’Auteur (carrément pédante)
Borges montre que la "technique des attributions erronées" de Pierre Ménard, auteur anachronique du Quichotte refonde le texte du Quichotte.
J’entends refonder cette minuscule partie de votre texte. Vous n’allez pas en mourir.

L’Ecrivain vivant (agacé, mais tentant de rester courtois, car c’est un homme d’abord courtois, il est habillé très simplement et ne paie pas de mine, mais son regard est vif, ses yeux pétillent et sa voix est grave mais légèrement éraillée par le tabac)
OK, mais c'était une fiction. Pas une recommandation à réaliser ni un nouveau jeu de société dont il aurait été l'inventeur.

L’Auteur  (se mettant à parler librement, presque sans respirer et à toute allure)
Merci, vous êtes une mine d'idée, vous... quels sont les liens entre "jeu de société" et "écriture d'invention" comme dirait l'éducation nationale ? Entre "contrainte" et "fiction" comme a dit le grand GP. (avec un sourire entendu) Notre grand, très grand Georges Perec.
(continue flatteuse) Cependant, je suis d'accord, tronquer et modifier votre phrase la tue et démontre à contrario qu'elle est, telle qu'elle est, un bijou.
Ne pouvant dorénavant, ni retrancher, ni ajouter aux citations, je dois en déduire que seules les citations exactes de 140 caractères entreront désormais dans l'écriture des "140 manières de mourir".
Si on y regarde de près, mon histoire de Ménard et de son Quichotte tendrait seulement à dire que la citation même exacte est modifiée par le remplacement de son auteur par un autre, ce qui se produit lors de l’utilisation de votre phrase dans le texte, ici présent, dont je suis forcément l’Auteur.

Le Chœur se lamentant.
Autour de nous, le grand jeu de société continue de plus belle. Tremblements.

Le Lecteur Critique (l’interrompant à propos)
Si la météo n'est pas plus clémente, je me demande si le froid ne fera pas plus de victimes que l'explosion de la Centrale...

L’Ecrivain vivant (dit d’un seul trait, à toute allure et sans respirer)
Il faut distinguer entre jouer avec ses productions textuelles, et jouer avec celles des autres. Il n'y a de littérature qu'à contrainte. Mais contrainte qui vise un effet, pour cela il faut une rhétorique subtile si possible, donc une contrainte. Un rythme, une assonance, une allitération, une anaphore, etc., sont des contraintes, mais au service de l'efficacité du texte. Faire des palindromes, en revanche, c'est comme pisser dans un violon.

L’Auteur (conciliante, mais détachant ses mots)
A propos, mon cher Mnirow, voilà qui apportera de l'eau à votre moulin de la critique de la littérature à contrainte :
Au Canada, une étude scientifique montre que l'abus du Tweet modifie durablement la pensée : les idées stoppent net tous les 140 caractères.

L’Auteur (en confidence)
En vérité, je vous le dis, je rêve du livre et non pas de ces lettres de lumières qui s’évanouiront à la première coupure de courant.

L’Auteur (radotant un peu)
L'auteur admet que les Ecrivains vivants aient raison. Respecter la contrainte ne doit pas tuer le rythme : on va réviser les citations.

Une contrainte qui tuerait le rythme serait comme de la lumière produite par une usine qui détruirait le pays qu'elle a pour but d'éclairer.

Le Lecteur Critique (met son grain de sel au moment où il sent qu’un accord se profile et que le conflit semble vouloir s’apaiser.)
Voilà, qui est à propos. Exactement, nous y sommes.
Il tape sur l’épaule de Mnirow qui s’écarte légèrement et presque imperceptiblement.

La journaliste (réapparait dans la lumière circulaire)
Ce fol hiver 2011, oublierions nous encore l'Afrique, la Côte d'Ivoire et les conflits qui tuent à l'arme lourde les gens dans les maisons ?

L’Auteur (tentant de résumer la situation)
Les Ecrivains vivants disent : une citation doit être exacte, syntaxe et sens, sans altération, sinon elle serait un analogon de traduction.

(puis continuant bravache)
Les Ecrivains vivants sont-ils habilités à parler au nom des Ecrivains morts ? Devraient-ils surveiller l'exactitude des citations de tous ?

Le Citateur
"Attribuer l'Imitation de Jésus Christ à Céline ou à Joyce, n'est-ce pas renouveler assez les minces conseils spirituels de cet ouvrage ?"

Mnirow et le Lecteur Critique ensemble d’une seule voix.
Vous même reprenez Borges. (Mnirow continue seul et discrètement en colère) Et déjà vous avez tronqué la citation. Vous ne respectez donc rien.

L’Auteur (se défendant)
L'auteur qui mange la citation, la savoure, l'absorbe, la rumine puis la recrache, l'a faite sienne à l'instar de Ménard avec le Quichotte.

L’Auteur à l’Ecrivain vivant
Tant pis, j’admets de n’être qu’un traducteur et d’être traité par vous de traitre.

Le Chœur
La contrainte a repris le dessus, renforcée, sure d'elle, clarifiée, allant de l'avant derechef, accompagnée des Ecrivains vivants ou morts.

Le Numérotateur  (bien content de la brouille entre l’Ecrivain vivant et l’Auteur)
Récit numéro 67

La journaliste (en direct de)
Bahreïn 2011. Une balle tirée d'un hélicoptère a tué Ahmed Farhan. Les autorités refusent plusieurs heures de rendre son corps à sa famille.

Le Numérotateur
Récit numéro 68

La journaliste (en direct de)
Manal Boualigi, 26 ans, ne participait pas aux manifestations. Elle a été tuée d’une seule balle dans la poitrine tirée d’en haut.

Le Numérotateur
Récit Numéro 69

Le Récitant
Charles Swann, professeur émérite de médecine interne à la faculté, a affronté cette maladie qu'il connaissait bien, avec pudeur et dignité.

Le Numérotateur
Récit numéro 70

La journaliste (en direct de) (toujours dans la lumière crue)
Manama 2011. Le monument de la Perle symbole de la révolte au Bahreïn a été abattu. Six voiles de boutres blanches s'élevaient vers le ciel.

L’Auteur (hors d’elle)
Un monument maintenant, on aura tout vu. A partir de maintenant, le Numérotateur est chargé de la vérification des textes avant leur émission vocale. Exécution.

L’auteur ne s'entend dire le mot « exécution» qu'après l’avoir prononcé.

Le Chœur
Les monuments, murs et statues ont aussi leur manière de mourir. Souvent, ils sont abattus ou brûlés, dans l’espoir qu’ils tombent dans l’oubli.

Une personne du Chœur
C’est ainsi qu’ils restent dans nos mémoires.

La journaliste (en direct de)(spot circulaire jaune)(voix dite d’hôtesse de l’air)
"Des travaux de développement ont été entamés sur la place de la Perle, pour faciliter la circulation" a dit l'agence officielle bahreïnie.

L’Auteur (de plus en plus affolée, elle écrit sur son clavier, on voit apparaître les lettres à l’écran et on voit les corrections se faire, elle chipote, les modifications sont à peine visibles, à grand peine audibles.)
Tout se met à marcher à l'envers, l'auteur menace de renoncer à la contrainte. Il fait n'importe quoi, suit les évènements qui le dépassent.

Tout se met, soudain, à marcher à l'envers. L'auteur renonce à la contrainte et décide de suivre des évènements qui le dépassent totalement.

Le Lecteur Critique (jubilant, puis pointilleux)
Enfin, un peu de sérieux. Ce renoncement vous honore. Votre contrainte est molle et vous auriez dû être, de ce fait, encore plus précise en son application. Nous parlons bien des caractères et non pas de lettres. Une ligature comme le oe doit être comptée comme un seul caractère même si elle réunit deux lettres. c'est important car l'application de cette lettre réduit certains de vos tweets, tous ceux qui contiennent le mot coeur par exemple, à 139 caractères au lieu de 140. De même, les points suspensifs, ne constituent qu'un seul caractère et non pas trois. Pour les espaces, une espace typographique étant un caractère comme un autre, cette question devrait être empreinte de la même rigueur, vous ne pouvez pas changer de règle en cour de route, supprimer une espace à un endroit et en ajouter à un autre.


L'Auteur (qui n'a rien écouté ni entendu, réécrit une fois encore son tweet, elle souligne le la)
Tout se met, soudain, à marcher à l'envers. L'auteur renonce à la contrainte et décide de suivre des évènements qui la dépassent totalement.

Douche lumineuse sur la Journaliste


La journaliste (en direct de)(spot circulaire rouge)
Casse tête : l'arrosage constant de la Centrale empêche le branchement du câble électrique chargé de rétablir le circuit de refroidissement.


Les écrans s’éteignent brusquement. Le dispositif d’écriture ne répond plus. Seules fonctionnent les lumières du plateau. La grille à contrainte 140 signes espaces compris a disparu. Le Numérotateur sort des grilles artisanales confectionnées sur des feuilles de cahiers à petits carreaux coupées en quatre. On peut y dessiner une lettre par carré, un carré peut être occupé par un espace blanc.


Un personnage du Choeur
Série "les peurs inavouables" : l'eau d'arrosage des cœurs blessés s'écoule on ne sait où, et répand forcément dans le sol sa radioactivité.


L’Auteur  (attendant que l’écran se rallume)
L'auteur se reprend grâce à James Joyce Ecrivain mort : "..si nous naissons tous de la même manière, nous mourons tous de façon différente."


Le Chœur (psalmodiant)
Pendaison noyade chute mangé par lion tigre lapidation duel poignard arme à feu blanche crucifixion bombardement intoxication empoisonnement

Le Chœur  (psalmodiant encore)
chaise électrique égorgement immolation chute du toit d'une tour noyade ensevelissement maladie mortelle vieillesse à la naissance éternelle


Le Chœur  (psalmodiant toujours)
irradiation étranglement infarctus lente rapide immédiate inattendue prévisible douloureuse douce droit debout en plein sommeil en plein vol


Le Numérotateur  (tend en catimini le texte qu’il a rédigé lui-même - on l’a vu l’écrire au crayon de papier sur une des grilles qu’il a confectionnée au Récitant qui met ses lunettes)
Récit numéro 71


Le Récitant
Il lit des textes anémiant sur ce qu'est la "vraie" littérature. Cela agit sur lui comme l'arsenic sur Emma Bovary. Il meurt à petits feux.


L’Auteur ayant perdu tout contrôle d’elle-même et de la situation, vient arracher le feuillet des mains du Récitant puis repart dans un coin écrire au verso.


Un personnage du Chœur ami des animaux donne un autre feuillet au Numérotateur qui le donne au Récitant.


Le Numérotateur
Récit numéro 72


Le Récitant
Il meurt le 19 mars 2011 au zoo de Berlin. Juste après l'annonce de son décès, son nom est l'un des mots-clés les plus utilisés sur Twitter.


Le Numérotateur
Récit numéro 73


La Journaliste. (comme si, tout à coup, elle aussi, participait de droit  à l’écriture des Récits)
Mohammed Nabbous dit Mo, cyberactiviste est blessé alors qu'il va filmer l'attaque des troupes du Colonel. Il meurt à l'hôpital de Benghazi.


Au milieu du récit, l’Auteur fait couper la lumière ronde qui éclaire rituellement la Journaliste lorsqu’elle parle en direct de.. Elle termine sans éclairage.


Le Chœur
mourir en héros en brave lâchement au hasard volontairement accidentellement bêtement à petits feux brûlée vive de ses blessures sur le coup

Une autre personne du Choeur.
Série "les peurs inavouables" : un Président de la République impulsif, commandant des armées, ça ne serait pas un petit peu dangereux ça ?

L’Auteur elle-même apporte un feuillet au Numérotateur et donne le double au Récitant.


Le Numérotateur
Récit numéro 74


Le Récitant
Il est injustement accusé de pervertir la jeunesse et condamné à mort. Les lois de la Cité lui importent plus que sa vie. Il boit la ciguë.


Les Acteurs jouent la scène, les comédiens sont vêtus comme dans les " péplums ". Ils se disputent un peu parce que chacun voudrait jouer Socrate. L’un se sacrifie.


Le Chœur
dans son lit dans sa baignoire sur le champ de bataille sur place au loin en mer en montagne dans un cataclysme dans un accident de voiture


L’écran s’est rallumé aussi soudainement qu’il s’était éteint. Soupir de soulagement général.


L’Auteur (épuisée)
Ce jour, 140ème tweet, mais pas 140ème récit des "140 manières de mourir". Pour obéir à la contrainte, le Numérotateur va devoir recompter les morts.


Le Numérotateur  (imperturbable, du moins pour le moment)
Récit numéro 75


Le Récitant
Stéphane M. étouffe : "Brûlez tout! Pas d'héritage littéraire." écrit-il à sa femme et sa fille. Le lendemain, une deuxième crise l'emporte.


Un homme se détache du Choeur pour dire
Série des "peurs à partager" : le Président a réussi, dans son pays, à brouiller les cartes et les esprits. Embrouille-t-il aussi le Monde ?


L’Auteur ne parvenant plus à contenir le désordre de son esprit, le désordre de l’Ecrit qui en résulte et le désordre ambiant, vient s’asseoir sur le devant du plateau, les jambes dans le vide qui sépare la scène des spectateurs. Elle sait que tout cela finirait si la Chose qu’elle écrivait, pouvait être éditée dans quelque chose qui ressemblerait à un Livre, quelle qu’en soit la matière. Elle aspire à la finitude du Livre. Les mondes bornés rassurent. L’infini effraie.


L’Auteur (hors de propos, à la fois rêveuse et découragée, comme à elle-même)
L'auteur enverrait bien son Livre de Lettres de Lumière à un Editeur Numérique et puis pense aux déboires de Proust et Joyce avec Gallimard.


L’Ecrivain vivant vient s’asseoir à ses côtés, lui aussi, jambes pendantes dans le même vide. Il lui dédicace son dernier Livre de Papier qui vient de sortir.


L’Auteur (à voix basse, sincère)
Que fait-on à la parution d'un livre ? On attend qu'on vous appelle ? On fait une fête géante où on invite tous les copains ? On a le baby blues ? On se remet immédiatement à écrire le suivant ? On guette les critiques ? On fait le grand modeste ? On le relit pour voir ce que ça fait quand c'est imprimé ? On le feuillette au moins dix fois chaque heure ? On le range dans sa bibliothèque à la bonne place par ordre chronologique ? On ne veut plus en entendre parler ? On médite sur la vanité d'avoir produit un écrit de plus au milieu des monceaux de livres déjà parus ? On a l'impression d'avoir dit ce qu'on avait à dire et que c'est déjà pas mal ? On pleure ou on rit ?


L’Ecrivain vivant (d’une voix très douce, comme s’il parlait à une enfant)
Voilà, c’est un peu tout ça.


Le Citateur avec le Chœur (du fond de la scène)
"Émergeant des flammes noires qui étincelaient, dans Hiroshima irradiée, vous n'étiez plus vous-mêmes et rampiez dans les terrains vagues."


Une personne du Chœur
"Je me suis vu au milieu des morts, plein du sentiment de la plus grande tendresse pour les morts, pour la multitude des morts..."[i]


Une personne du Chœur
"Les étudiants, devant moi, en silence, pensent à la mort, et l'écrivent."[ii]


Soudain tous les projecteurs s’allument et des lampes clignotent, des trompettes retentissent. Annonce. Entrent Gaetano Brellis de l’Institut de Twittérature et la Journaliste. Gaetano Brellis lui-même parle.
L’Institut de Twittérature avec la Journaliste
Un des tweets de Lirina Bloom, auteur de twittérature, a été sacré, ce jour, gazouillis du jour, il est publié sur le site de l’institut à l’adresse suivante. http://bit.ly/eqdbu7(Lire hache té té pé deux points slach slach bit point laïlle slach e cu dé bé u sept.) Suivez le lien

Le Numérotateur
Vous allez réentendre le gazouillis qui a permis à notre Auteur de gagner le Concours. (A l’Auteur). Je ne le compte pas de nouveau ? Bon, alors, allez-y.


L’Auteur (se citant)
J'avais imaginé rédiger, peu à peu, un à un, chaque récit d'une des 140 manières de mourir. Mais les tyrans aiment la mort à grande échelle.


L’Auteur (qui s’est à nouveau assise devant son clavier, tape le texte suivant qui n’est pas un récit mais un commentaire personnel, une note de journal intime, en bref n’importe quoi. Les règles de la contrainte semblent vouloir à nouveau voler en éclat).
L'auteur se pavane sur la toile. Un de ses tweets est sacré "Gazouillis du jour", à l'autre bout du monde. Tir de longue portée : zéro mort.

Le lecteur Critique (ricanant)
Métaphore !


Le Citateur avec la journaliste
"Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale". Si Andy Warhol l'a dit, l'Institut de Twittérature l'a fait.

1979, Warhol réitère : " ma prédiction des années soixante s'est réalisée : à l'avenir, tout le monde sera célèbre pendant quinze minutes. "


Le Numérotateur
Récit numéro 76


Les Acteurs miment la scène.


Le Récitant
USA. 1968, il subit une tentative d'assassinat : il survit aux tirs d'une militante du SCUM. 1980, il meurt après l'ablation de sa vésicule.


Une personne du Chœur
 "J'ai l'impression vague que pour les sauveteurs japonais, un presque-mort est déjà mort.


L’IT
Gaetano Brellis de l’Institut de Twittérature annonce que l’Auteur pourrait bien être édité sur la Toile par Oscar Binfon, Editeur certes Numérique mais, quoiqu’en dise votre Auteur de Livres de Papiers, Editeur tout court. Il va arriver d’un instant à l’autre.
Moment de flottement.


L’Auteur (en a parte, parlant à l’Ecrivain vivant)
En vérité, je vous le dis, je rêve du livre et non pas de ces Lettres de Lumières qui s’évanouiront à la première coupure de courant.


Le Chœur (soutenant l’Auteur)
Les Lettres de Lumière peuvent s'évanouir des suites d'une panne soudaine de disque ou de secteur. Le rêve du Livre, lui, ne s'éteindra pas.


Le Chœur
Les Lettres de Lumière voyagent instantanément d'un bout à l'autre de la Terre, mais le temps de la lecture n'a subi aucun raccourcissement.



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