dimanche 27 novembre 2011

Acte 6 : BLACK OUT


Tous les écrans s’éteignent soudain. L’Auteur ne peut plus rien écrire, ni rien envoyer de par le monde sur la Toile.
Le Chœur (dont les voix s’élèvent du fond de l’obscurité de la scène où il s’était réfugié. Le ton ressemble à celui des conversations qui ont lieu juste après l’affolement)
Paul Virilio a su envisager la " perte de contrôle " de l’accident à grande vitesse, qu’il soit " informatique, ferroviaire ou nucléaire ".

Une mégacatastrophe pourrait cumuler la bombe climatique, la bombe atomique, la bombe démographique, et l’explosion de la bombe financière.

En 2008, Paul Virilio propose de créer une Université du désastre accompli pour travailler sur les "accidents de connaissances". Trop tard ?

Les projecteurs s’éteignent aussi.

Le Numérotateur qui a réussi à se détacher, ou qu’on a détaché, à la faveur de l’obscurité, apporte une bougie à l’Auteur et lui prète son crayon, arrache quelques pages à son carnet et les lui offre.

L’Auteur (reconnaissant, lui parle en écrivant)
Les Vanités sont des natures mortes. Elles sont une méditation sur la mort et le caractère éphémère de la vie. En fait, j'écris des Vanités.
Pardonnez moi.

L’Auteur
L'auteur a recopié à l'endroit les récits de mort en vue du Livre de Papier, et se retrouve à l'envers d'une parution en Lettres de Lumière.

La guerre entre Page de Papier et de Lumière fait rage dans l'esprit de l'auteur. A quand une chronologie de Lumière à lire de haut en bas

Il dit : une économie d'arbres riches d'oxygène, voilà ce qu'on ferait, mais des explosifs nucléaires à hydrogène, voilà ce qu'on gagnerait.

Le Numérotateur (espérant que la panne continue)
Actuellement, la question ne se pose plus. (et presque à lui-même) Je vous retrouve.

L’Auteur
L'auteur veut rassurer ses lecteurs, il ne dérive pas dangereusement, il ne s'égare pas, il suit le chemin tracé depuis les débuts du temps.

L’Auteur
Il suit les chemins tracés de la contrainte, contrainte de contenu et contrainte de contenant, contrainte contenue et contrainte contenante.

L’Auteur
L'auteur vous parle des débuts du temps de l'œuvre littéraire, bien sur, celle qui se construit sous vos yeux et petit à petit sur l'écran.

Le Numérotateur
Mais, il n’y a plus d’écran.

L’Auteur
Cela ne va pas durer.

L’Auteur (comme à elle-même encore)
L'œuvre qui, malgré lui (l’auteur), rêve du Livre et du papier, de l'épaisseur de l'encre, des pages et de leur texture, de typographies.

Le Numérotateur
Vous voyez.

L’Auteur (de nouveau agacée par lui)
Nous ne sommes pas partis de rien.

Le Numérotateur qui ne perd pas le nord allume une autre bougie et l’apporte dans la zone centrale où se trouve maintenant le Chœur. Il allume ensuite plusieurs bougies qu’il donne à chacun des personnages du Chœur qui va prendre la parole. Tout, sur le plateau a changé.

Le Numérotateur (tout à coup lyrique et content d’être libéré de la contrainte technologique dont on comprend soudain qu’il ne l’avait tolérée que par amour pour l’Auteur)
Ainsi qu’on voit un paysage à la tombée du jour se métamorphoser en un lieu propice à la venue des fantômes échappés du royaume des morts, l’ombre obscure des flammes  des bougies nous montre cette terrifiante frontière entre rêve et réalité, lieu même du séjour de nos innombrables folies.

L’Historien (précis)
De fait, les lustres présents dans de nombreux théâtres soutenaient des bougies, dont la cire se liquéfiait et tombait sur la tête des malheureux qui se trouvaient au-dessous…

Le Citateur
Voici ce que nous dit Albert Thibaudet (1874-1936) sur cette difficile question de l’éclairage de spectacle.
" Au théâtre, ce qui intéresse le plus, Mallarmé, c’est peut-être ce feu d’artifice cristallisé, le lustre : il le prend sans cesse, sous des formes précieuses, comme l’image du spectateur idéal. Baudelaire pensait de même, seulement il voyait en le lustre l’acteur : " Ce que j’ai toujours trouvé de plus beau dans un théâtre, dans mon enfance et encore maintenant, c’est le lustre — un bel objet lumineux, cristallin, compliqué, circulaire et symétrique... Le lustre m’a toujours paru l’acteur principal, vu par le gros bout ou le petit bout de la lorgnette. "

L’Historien (poursuivant)
La légère circulation d’air faisait trembler les flammes. Les ors scintillaient et les ombres portées mouvantes offraient aux yeux un spectacle vivant. Au gré des décennies, les techniques évoluèrent. Ainsi les bougies furent-elles remplacées par les lampes à huile de poisson, puis par l’éclairage au gaz avant que l’électricité ne s’impose.

Une personne du Chœur
"Fuites d'eau radioactive, plutonium dans le sol. Avec Tepro rien n'est jamais dangereux. Tepro l'électricien qu'il vous faut."[iii]

Une autre personne du Chœur imite le Spot publicitaire, à moins que ce ne soit lui-même qui se soit mêle au Chœur pendant le black out.
Pub. Pont de Tancarville. Votre voiture sort de la route. Un séisme magnitude 9 à ce moment. Tsunami suit. Sans Groumamma, bonjour les frais.

Une personne du Chœur  : le poète
Le corps est la première métaphore du tombeau, là où la souffrance gît."
"Être le matériau de son tombeau, l'ombre sans soleil. Exister si peu et souffrir tant..."
"Corps flou. Emprisonnée dans sa cage de chair, l'âme s'épuise. L'horizon disparaît dans les contours du silence."[iv]

Un autre (un peu moqueur)
"ces craquements dans la nuque.. – de quoi est mort votre père ? – vous mourrez de ça aussi. Bon au moins on est prévenu c'est bien"[v]

Une autre personne du Chœur  imite le Citateur à moins que ce ne soit lui-même qui se soit mélé au Chœur pendant le black out.
"Voilà un abcès causé par trop d’abondance qui crève intérieurement, et qui, sans montrer de cause apparente, va faire mourir son homme." William Shakespeare

Une personne du Chœur
 "Tu le sais, c'est la règle commune tout ce qui vit doit mourir, emporté par la nature dans l'éternité." William Shakespeare

Une personne du Chœur
"comme on se préparait à une guerre, on s'était mis à ouvrir les tombeaux"[vi]

Une personne du Chœur
 "c’est là un dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur. Mourir.., dormir, dormir! Peut-être rêver! Oui, là est l’embarras."

Le Chœur (d'une seule voix)
"On cherche le moyen de ne pas mourir."[vii]

L’Auteur
La guerre entre Page de Papier et de Lumière fait rage dans l'esprit de l'auteur. A quand une chronologie de Lumière à lire de haut en bas ?

L’Auteur
Ce "je" et l'Auteur sont devenus deux êtres distants, différents, non absolument superposables, non identiques ni clairement identifiables.

Le Citateur toujours depuis le Chœur.
"Apprendre à regarder la mort comme un soleil." Zoran Music

L’Auteur
Ils ne sont ni l'un ni l'autre identifiables comme étant la personne dite Lirina Bloom : celle-ci serait un troisième personnage, mais qui ?

Une personne du Chœur (celui qui se console avec des récits de mort imaginaire)
Le Président veut être partout premier. Premières frappes, premier voyage. Au Japon, cocorico rapido. Au retour, crash du jet tout flambant.

Une personne du Chœur (sentimentale)
Normalement, au zoo de Berlin, depuis la mort de Knut, les ours sont en deuil. Voilà ce que je pense.[viii]

Une personne du Chœur (plein de réalisme)
En Libye, allez hop, les rafales.[ix]

Une personne du Chœur qui pourrait être La Journaliste.
Syrie. Deux sons de cloche : 10 personnes ont été tuées, dit la télévision d'état. Plus de 100 morts, dit un militant des droits de l'Homme.

Une personne du Chœur qui est Le Citateur
Allais : "Il est curieux de constater que dans l'armée, les statistiques le prouvent, la mortalité augmente bizarrement en temps de guerre."

Une personne du Chœur
"A partir de combien de morts, Bachar el Assad pourra-t-il être officiellement qualifié de tueur en Syrie ?"[x]

Une personne du Chœur (probablement le Lecteur Critique)
Série "les peurs inavouables" : les troupes internationales, censées rétablir justice et paix en Libye, risquent-elles d'embraser le pays entier ?

Le Chœur d’une seule voix
Tous les poissons d'avril sont en danger de mort au large de Fukushima. Ils attendent calmement des blagues de secours qui ne viennent pas.

Tout se rallume une fois encore. Ce n’était, encore une fois, qu’une panne temporaire.

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