AVANT-JEUX : La contrainte "140"

Présentation par « Je »

Je (solennelle)

Au début de l’hiver 2011, pour exorciser la pléthore des récits de mort que j’étais, comme par fatalité, contrainte d’entendre quotidiennement et pour, je dois l’avouer,  vous faire partager mon tourment, m’était venue l’idée d’écrire, via twitter, 140 récits de      " 140 manières de mourir en 140 caractères. "
Ainsi, j’allais participer à une littérature naissante, qui se proclamait  Twittérature et qui avec ses groupes, instituts et académies, parodiait les structures les plus figées des bastions de la littérature officielle.

Chaque message expédié sur twitter ou tweet –autrement appelé gazouillis – se doit de comporter au plus 140 caractères. C’est la règle. Contrainte technologique.
Pour pimenter, je choisis d’écrire des tweets d’exactement, pile, absolument " 140 " signes ; et autorisais ce nombre (140) à structurer le tout. (Je dis " tout " à dessein, parce qu’ à ce stade, impossible de dire " le livre " car le devenir de l’écrit que j’avais entrepris, me restait obscur, comme son sujet d’ailleurs, bien que j’admisse qu’il existât des morts lumineuses.)
Je voulus ensuite étendre, comme par logique, la contrainte " 140 " au nombre des " récits de mort " gazouillés sur la Toile.

La contrainte des " 140 " - absurde, car imposée par la Chose Technique qui ne se soucie ni de sens ni de littérature - donnait une limite raisonnable sinon rationnelle à un écrit qui sinon, de par la nature même du sujet, eût été sans fin.
Tonneau des danaïdes. Morts jusqu’à plus soif.

Car Joyce l’avait écrit :

"..si nous naissons tous de la même manière, nous mourons tous de façon différente."

Ce n’est pas tout à fait juste, mais c’est loin d’être faux.
Fidèle aux fantaisies de l’OULIPO, et à l’idée de l’œuvre comme tombeau au sens de Mallarmé, j’ai déduit cette contrainte d’écriture, pour faire de mon écrit en Lettres de Lumière, le tombeau même de la mort. Tuer la mort et l’enterrer. Rien moins.

Je me suis tenue à cette contrainte, tant bien que mal, ou plutôt la contrainte m’a tenue, car " l’incroyable année 2011 " s’est déchainée soudain. On conçoit, si on a quelque mémoire, que pendant cette période d’hécatombes diverses, 140 récits n’ont pas pu signifier 140 morts.

Un jour, le Numérotateur devra cependant compter le 140ème récit de mort, marquant l’arrêt inexorable du texte, arrêt anticipé par le préalable de la contrainte. Garde fou.

Pas le choix, on stoppe. On met un point final. On arrête.
" 140 ", le compte est bon. Le sort en est jeté. L’œuvre est close. Quoiqu’il en soit.

S’il en avait été ainsi…